Dadelsen, ce « météore de la poésie »

On fête cette année le centenaire de la naissance du poète Jean-Paul de Dadelsen, dont la vie brève et ardente et l’œuvre courte mais très originale revêtent quasiment la figure du mythe, assertion qui aurait attiré de sa part une réplique humoristique, voire carrément grossière ! «Il ne vient à la suite de personne; il ne cadre avec rien dans nos Lettres» (Henri Thomas, préface à Jonas »). En juin 1957, il meurt à quarante-quatre ans d’une tumeur au cerveau, sans avoir trouvé le temps de préparer l’édition de ses poèmes.

Alsacien de souches (non-nobles malgré le patronyme, précise-t-il) allemande, suisse et danoise, grand Européen attaché à sa terre natale (qu’il dit «grasse, vénérée, indestructible, positive et femelle»), reçu premier à l’agrégation d’allemand, officier parachutiste en 1942 dans les Forces Françaises Libres, puis correspondant à Londres de Combat, le journal de son ami Albert Camus – qui s’occupera de la publication de son oeuvre -, chroniqueur à la BBC, il travaille un temps à Genève avec Denis de Rougemont au Centre Européen de la Culture en même temps qu’il est conseiller auprès de Jean Monnet pour le pool Charbon-Acier au Luxembourg.

Conférencier brillant, féru de littérature anglaise et allemande, familier de l’Ancien Testament présent dans son oeuvre comme un bruit de fond, au-delà-même des citations, quelque peu charmeur voire dandy désinvolte – il était bel homme – il se plaint dans ses lettres, avec des accents à la Villon, de s’être quelque peu dilapidé.

C’est tardivement, à 39 ans, qu’il compose son premier grand poème «Bach en automne» (1952-1953), à la puissante respiration rythmée de longs versets, qui appelle la diction à voix haute.

À travers la futaie de l’orgue le souffle qui chantera la gloire du Seigneur
est à larges semelles boueuses pompé par le fossoyeur sacristain.
Dans son effort boiteux sur le soufflet
le bonhomme, tête levée,
bras à la barre, les jambes écartées, figure une difforme
Etoile pentagonale. Cinq est le chiffre de l’homme etc.

Le poème ne paraît dans la N.R.F., grâce à Camus, qu’en 1955. Sa forme à vers libres le fit comparer à Claudel, bien à tort à mon sens : leurs mystiques sont divergentes, et la langue de Dadelsen plus «goûtue», faite des mots de tous les jours, jusqu’au burlesque ou à l’ironie, parfois tournée contre lui-même. «Dadelsen le Rhénan», écrit Evelyne Franck, «le païen, le protestant, le vigneron qui soupe avec Luther, Bach ou Rabelais».

Jonas, qui regroupe en 175 pages à peu près tous les poèmes, que sa forme en versets conduit à imprimer à l’italienne, est une oeuvre posthume, publiée grâce à ses amis : Camus, Thomas, Brenner, Duchêne (Gallimard 1962). La baleine y est le symbole de la contingence, de la finitude de la condition humaine «le difficile pour Jonas : non de mourir, mais de vouloir et de vivre». Ce thème de l’assentiment est prégnant : il s’agit d’un devoir être, en réponse au don sans mérite de la vie, quelle que soit la difficulté à être, à savoir qui l’on est, à lutter devant, contre et avec un Dieu silencieux.

Je ne suis pas à moi. Je ne sais d’où je viens, je ne sais
Ce qui est marqué à mon compte ou contre moi
Dans le grand livre.
Je ne suis pas mon oubli et ne suis pas ma paresse et ne suis pas
Ma pesanteur. Mais j’ai honte du plus profond de ma mémoire
J’ai honte de n’avoir pas crié contre toi
Eternel.

Mais pourtant «moi seul je L’adore dans sa perfection dans sa plénitude première avant toute cette comédie d’univers inutile […] moi, je résiste, je travaille, j’oppose, j’affine, je pousse, j’accélère vers le moment où tout de nouveau sera annihilé enfin.»

Car, écrit Dadelsen 45 jours avant sa mort d’un cancer au cerveau :
On vivra. Longtemps. Patiemment. Sans protestations.
On vivra parce qu’il faut vivre, parce qu’il faut
faire ce que l’on est né pour faire.
par Jean-François HEROUARD

1962 : Jonas, éd.Poésie/Gallimard

1982 & 1995 : Goethe en Alsace, éd. Le temps qu’il fait

2013 : La beauté de vivre, Poèmes et lettre à l’oncle Éric, éd. Arfuyen.

2013 : Jean-Paul de Dadelsen, la sagesse de l’en-bas, Evelyne Franck, éd. Arfuyen.