Découvrir Emile Ripert

J’irai faire claquer au mur gris la fenêtre,
Et je regarderai chanter au loin la Mer...
(Emile Ripert)

D’un côté Marseille : métropole tentaculaire, carrefour maritime, zone d’échange et de commerce. De l’autre Toulon ; sa rade, sa marine et le roulis des armes au repos. La Ciotat entre les deux, où les immenses portiques et le relief escarpé de calanques rouge-brique se disputent le calme horizon de la Méditerranée. Le métal et la masse ont laissé sur la ville une marque indélébile ; celle du travail des hommes au profit du voyage.

Jusqu’en 1988, La Ciotat fut un chantier naval. On a depuis repeint une ancienne grue rotative. Elle se situait à proximité d’un Best Western prometteur. Puis on a bourré de parpaings les arcades d’un hangar de charpenterie et barricadé la mémoire au profit du spectacle et de la carte postale. Le temps de la plaisance est désormais venu qui s’écoule au rythme du cliquetis des manilles et des câbles d’inox. Un souffle du passé – lointain mistral – agite les gréements. On vit comme on peut avec l’histoire et le souvenir des navigations industrielles. On loge dans des quartiers avec vue sur les grues, au flanc de mille collines. Et la mer est en friche. Et les pins sont les mêmes.

Il est à La Ciotat des lieux qui montent et d’autres qui descendent, ainsi qu’à Gênes la grande sœur. La Salis, dont l’étymologie renvoie selon les historiens locaux à l’ascension, à l’action de gravir, est de ceux-ci. Une élévation de terrain partant du centre-ville conduit naturellement le promeneur, à travers les maisons qui peuplent La Salis, au domaine d’un poète qui de La Ciotat a dressé au début du XXe siècle un portrait éminemment sensible et juste : Emile Ripert (1882-1948).

À la lecture des vers de ce félibre-né, La Ciotat reprend vie. Non pas sous les espèces d’un artificiel paradis – celui que vantent à juste titre sans doute les guides touristiques - mais comme une chose précieuse et très fragile : le trésor toujours redécouvert d’une appartenance libre et émancipée – celle-là même qui attachait Paul Valéry, l’ami de Ripert, à Sète : « l’île singulière » (1) et tournée vers la pêche.

La Ciotat court – et chante mieux encore – au fil des mots d’Emile Ripert. Elle est l’ultime ressource, le refuge exposé ; à la lumière la plus intense – celle qui miraculeusement filtre en été entre les conifères élancés du bord de mer – en même temps qu’à l’air salin venu des plages situées en contrebas de La Salis.

Mais qu’on ne s’y trompe pas : le décor est ici recul, arrêt, préscience et clarté. Ripert a su donner à sa Provence navale la vie des mythes grecs, la musique adéquate, la retenue la plus douce. Il y a puisé la forme, la simplicité, l’élégance de ces défaites solaires où l’effort abdique sur le chemin aride et boit à la source une vision rafraîchissante.

Né à La Ciotat, Ripert passe les premières années de sa vie à Draguignan dans le Var. Mais les vacances fournissent le prétexte rêvé d’un retour à la cité natale où l’on profite des charmes de la bastide familiale du Sécadou, dans le quartier de La Salis précisément. L’âge d’or et les délices d’un repos ciotaden entrent à jamais dans le cœur du poète qui n’aura de cesse de revenir au Sécadou.

Entre-temps : Normale Sup’ – promotion 1901 – la carrière, les rencontres, la gloire du Félibrige, l’enseignement des lettres et de la littérature provençale au lycée puis à l’université. Enfin le 14e fauteuil de l’Académie de Marseille précédemment occupé par Frédéric Mistral.

Bien qu’elle ait couronné à deux reprises le travail de Ripert, l’Académie Française n’a jamais vraiment su entendre le message estival du poète : tendresse et la palpitation vermeille, entre les vers, de l’identité d’Oc. Le Nobel de Mistral portait haut pourtant l’espoir d’une renaissance méridionale telle que Ripert lui consacra une importante étude (2). Mais voilà, Paris a ses raisons et le brouillard ses cœurs voilés. Le poète de La Ciotat n’en veut à personne. Bien au contraire. Il nous invite à prendre avec lui la route du Retour :

Le vent est doux, ainsi que des cheveux des femmes,
Et c’est ce vent qu’il faut à vos deuils, pauvres âmes,
Cœurs voilés des brouillards de Paris, qui rêvez
Aux étoiles, les pieds meurtris aux noirs pavés,
Aux chars divins parmi le fracas des voitures,
Vous dont l’ardeur tenta toutes les aventures,
Frères pourtant, salis par la boue et le bruit,
Ô frères, venez voir le Poète chez lui ! (3)

Chez lui, c’est-à-dire au Sécadou, où se trouve encore intact son pavillon de travail : « Son bureau, son siège, sa lampe, ses livres… Tout est resté à sa place comme s’il avait fermé la porte la veille. C’est à peine si son innombrable correspondance a été classée. Ce petit pavillon au milieu de la nature n’a qu’une pièce sans commodité mais c’est là [que le poète] passait ses journées à lire, à composer, à rédiger ses notes, ses conférences [et] ses articles, à préparer ses cours… C’était pour lui un havre de paix où il pouvait réfléchir sans souci et dans la plus grande tranquillité. » (4) Au Sécadou Ripert constitue pas à pas son propre nuancier : une infinie gradation de sentiments, de tonalités, d’éclats, de forces. Il profite aux beaux jours de l’ombre bienveillante de cette « vieille maison » qui le vit enfant. Et heureux. Mais il sait également la fuite du temps et les humeurs de la vie :

Le bruit des étés fous aux vacances chantantes
S’est enfui, et, là-haut, les meubles de cent ans
Gardent leur attitude éternelle d’attente,
Et, peu à peu, leur bois prend la forme du temps. (5)

Des revers de la fortune, Ripert tire une étonnante leçon d’humilité et de courage. A Mireille sa fille, disparue à quinze ans des suites de la tuberculose, il dédie l’instant le plus poignant de sa vie de poète et de père ; celui d’une dictée à fleur d’âme où parlent depuis la mort la confiance et l’Avenir.

À la faveur d’une nuit d’étude et de foi paternelle, Ripert s’engage avec Mireille sur la « petite voie » d’un étincelant amour. Elle lui parle. Il transcrit et transmet le message. Et le poème se porte à son oreille attendrie avec la voix d’une adolescente (6). Thérèse de Lisieux, Mireille du Sécadou. La bonté n’attend pas le nombre des années.

Sa confiance en l’avenir au-delà du malheur, Ripert la doit enfin et surtout au paysage enchanteur de son lieu de naissance et aux penchants les plus fins et les plus francs de son caractère méridional. La poésie est aussi une affaire de savoir-vivre. L’hommage de Ripert à La Ciotat, qui prend le nom de la devise de la ville, « Ad Civitatem » (7), résume avec une fierté teintée de pudeur l’attachement d’un homme à ses racines. Il y a bien sûr les gènes. Mais qu’est-ce que la génétique au regard du Poème ? Non. Ce sont des pêcheurs, une fontaine, une église, un port, une tartane, une vieille goélette aux formes charmantes.

par Jean-Baptiste MOGNETTI*

*Mes plus chaleureux remerciements vont à Véronique Ripert pour m’avoir un dimanche ouvert les portes de la poésie et initié aux « lieux » de son grand-père ; le poète Emile Ripert.

Bibliographie :

Emile Ripert, Poèmes choisis, Les Poètes Français, 2009.

Emile Ripert, L’or des ruines, La Renaissance du Livre, 1922.

Emile Ripert, La Sirène blessée, Plon-Nourrit & Cie, 1920.

Emile Ripert, Le Golfe d’Amour, Editions du Feu, 1908.

Emile Ripert, Le chemin blanc, Eugène Fasquelle, 1904.

Et de nombreux textes intégraux disponibles en ligne : http://www.emile-ripert-livreenligne.fr

Notes :

(1) Selon le mot de Paul Valéry.

(2) Emile Ripert, La Renaissance Provençale, Paris, Champion éditeur, 1918. Si les racines de Ripert sont à La Ciotat, c’est à Paris, alors qu’il est encore étudiant, qu’il découvre, « un jour de pluie en ennui », la Provence de Mistral. Avec l’écrivain de langue d’oc, il tisse alors un rapport d’amitié qui ne se démentira plus.

(3) Emile Ripert, « Retour », Poèmes choisis par Claire Dutrey, Paris, Les Poètes Français, 2009, p. 22. Cf. Bibliographie.

(4) Véronique Ripert, petite-fille d’Emile Ripert, sur le site d’information consacré au poète : http://www.emile-ripert.eu/EmileRipert.html

(5) Emile Ripert, « À la vieille maison », Poèmes choisis, op. cit., p. 15-17.

(6) Emile Ripert, « Elle me dit », ibid., p. 45.

(7) Emile Ripert, « Ad Civitatem », ibid., p. 49-51.